« Il est temps d’arrêter de brûler notre
planète et de commencer à investir dans une énergie renouvelable abondante tout
autour de nous ». C’est le message on ne peut plus clair qu’a porté le
secrétaire général des Nation Unies, António Guterres, en ouverture de
conférence de presse, à l’occasion de la publication du dernier volet du
sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat (GIEC), ce lundi 4 avril. Livrant aux décideurs du monde un arsenal de
solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, le rapport
justement nommé « Atténuation du changement climatique » rappelle haut et fort
l’objectif de l’Accord de Paris, signé en 2015 : « C’est maintenant ou jamais,
si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 1,5°C », a ainsi déclaré
Jim Skea, coprésident du groupe de travail III du GIEC, dans un communiqué de
presse. « Sans réductions immédiates et profondes des émissions dans tous les
secteurs, ce sera impossible », prévient-il.
L’urgence
est pourtant là. « Nous sommes sur la voie rapide de la catastrophe climatique
», métaphorise Antonio Guterres, s’appuyant sur les exemples récents
d’événements climatiques extrêmes, à l’image des records de température en
Antarctique, des pluies diluviennes qui ont inondé la côte Est australienne ou
encore l’effondrement d’un plateforme de glace de la taille de Rome au pôle
Nord. L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) ces dernières
décennies jouent pour beaucoup dans la fréquence croissante de ces catastrophes
environnementales, les émissions anthropiques mondiales nettes de GES ayant
bondi de 12 % par rapport à 2010 et de 54 % par rapport à 1990. Si cette tendance
a ensuite légèrement ralenti, passant de +2,3 % à +1,3 % par an, il faudrait
qu’elle décroisse encore de 27 à 43 % d’ici 2030 et de 63 à 84 % d’ici 2050
pour contenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C. Pour limiter le
réchauffement à 1,5 °C, le pic des émissions devrait même être atteint au plus
tard en 2025, avant une décrue graduelle de la pollution dans tous les
domaines. « Les décisions que nous prenons aujourd’hui peuvent nous assurer un
futur vivable », a réagi Hoesung Lee, le président de l’instance onusienne. «
Nous avons les outils et le savoir-faire pour limiter le réchauffement »,
estime-t-il. Stockage du carbone, changement de nos modes de vie, abandon des
énergies fossiles… Voici cinq des solutions mises en avant dans le rapport long
de 3000 pages du GIEC pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à
grande échelle.
1. La fin des combustibles fossiles
Sans
doute l’une des mesures phare de ce rapport, la réduction substantielle de
l’utilisation des combustibles fossiles est au cœur des conclusions du GIEC
pour limiter le réchauffement de la planète, qui se situe actuellement à 1,1°C
au-dessus des niveaux préindustriels. Et pour cause : en 2019, les émissions de
carbone provenant des combustibles fossiles et du secteur industriel étaient
responsables de la plus forte croissance des émissions de GES et de 64 % de
toutes les émissions anthropiques. « Il n’y a pas de remède miracle contre la
crise climatique, mais il y a une arme du crime : les énergies fossiles. Il n’y
a plus de place pour leur expansion », prévient Nikki Reisch, directrice climat
et énergie du Center for International Environmental Law, et l’une des
observatrices de la séance d’approbation.
C’est
pourquoi les scientifiques du GIEC enjoignent les décideurs du monde entier à
abandonner le charbon d’ici 2050. Pour parvenir à une réduction drastique de
ces combustibles, le GIEC conseille notamment de supprimer les subventions
accordées à ces énergies polluantes, affirmant que cette mesure permettrait de
réduire les émissions de 10 % d’ici à 2030. Autres solutions : la modernisation
des centrales incluant le captage et le stockage du carbone ainsi que
l’interdiction de constructions de nouvelles installations de charbon non
exploitées.
«
Si nous n’avons pas de justice sociale, il n’y aura pas de réduction plus
rapide des gaz à effet de serre »
2. Se tourner vers les énergies
renouvelables : une solution de moins en moins coûteuse
Bien
que le rapport ait conclu qu’il était désormais « presque inévitable » que les températures dépassent 1,5 °C –
niveau au-delà duquel de nombreux effets de la dégradation du climat deviennent
irréversibles – le GIEC a déclaré qu’il serait possible de les ramener en
dessous du niveau critique d’ici la fin du siècle, notamment en se tournant
vers les énergies renouvelables. En effet, la pollution engendrée par la
production d’électricité et de chaleur représente environ un quart des
émissions mondiales, faisant d’elle la cause la plus importante du
réchauffement de la planète. Les chercheurs estiment que les émissions
énergétiques doivent être réduites de 38 à 52 % au cours des huit prochaines années
afin de maintenir le niveau des températures en-dessous de 1,5°C.
Pour
y parvenir, des mesures telles que les taxes sur les émissions de carbone et
les incitations financières pour l’installation d’énergies renouvelables sont à
privilégier selon les conclusions du GIEC. Par ailleurs, l’électricité produite
à partir de l’énergie solaire et éolienne est moins chère que l’électricité
produite à partir de combustibles fossiles dans de nombreux pays, selon le
groupe onusien. Les experts citent par exemple l’énergie solaire, dont le coût
a baissé de 85 % entre 2010 et 2019, l’éolien (–55 %) ou encore les batteries
lithium-ion (–85 %). Les sources d’énergie renouvelables à petite échelle,
telles que les panneaux solaires hors réseau, peuvent ainsi contribuer à fournir
de l’électricité à des communautés qui n’y avaient pas accès auparavant. En ce
sens, les pays pauvres doivent être classés prioritaires pour recevoir des
aides au financement d’énergies renouvelables, selon Catherine Mitchell,
professeur émérite de politique énergétique à l’université d’Exeter. « Si nous
n’avons pas de justice sociale, il n’y aura pas de réduction plus rapide des
gaz à effet de serre. Ces questions sont liées entre elles », déclare-t-elle.
3. Captage de carbone
Les
techniques de capture et de stockage du carbone sont jugées nécessaires et
désormais « inévitables » pour que le secteur industriel atteigne des émissions
de CO2 nulles. Actuellement, le reboisement, l’amélioration de la gestion
forestière et le piégeage du carbone dans les sols sont les seules méthodes
d’élimination du dioxyde de carbone largement utilisées. Cependant, en le
stockant de cette manière, le carbone est susceptible d’être libéré suite à des
interventions humaines, comme l’abattage des arbres, ou à des perturbations
naturelles, comme les incendies.
Le
stockage du dioxyde de carbone sous terre, lui, est moins susceptible d’être
relâché dans l’atmosphère. Mais il comporte d’autres risques, encore peu
connus, qui pourraient impacter directement la biodiversité et les écosystèmes
environnants. Sur le long terme, l’objectif reste de stocker le dioxyde de
carbone de manière permanente.
«
Réduire la demande a un impact sur la diminution des émissions de gaz à effet
de serre »
4. Changement de nos modes de vie
Autre
enjeu : la sobriété individuelle. Les scientifiques du GIEC affirment que les
changements de comportement et de mode de vie pourraient conduire à une
réduction importante des émissions de gaz à effet de serre. Entre autres : le
passage à une alimentation saine à base de plantes, la réduction du gaspillage
alimentaire et de la surconsommation, favoriser les produits à longue durée de
vie et réparables, baisser le chauffage ou encore recourir au télétravail et au
covoiturage.
C’est
la première fois que le GIEC consacre un chapitre entier à la question de la
demande d’énergie et de services – plutôt qu’à l’offre. « Réduire la demande a
un impact sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre », confirme
auprès du Monde Nadia Maïzi, l’une des autrices du chapitre et chercheuse à
Mines Paris-PSL. D’ici à 2050, des stratégies globales axées sur la demande
dans tous les secteurs pourraient ainsi réduire les émissions de GES de 40 à 70
% à l’échelle mondiale. Les efforts à fournir de ce côté-là incombent aux
personnes ayant un statut socio-économique élevé puisqu’elles contribuent de
manière disproportionnée aux émissions, selon les auteurs du rapport. Par
conséquent, elles ont aussi « le plus grand potentiel de réduction des
émissions, par exemple en tant que citoyens, en tant que citoyens,
investisseurs, consommateurs, modèles et professionnels », décryptent-ils.
5. Combler les lacunes en investissement
Pour
limiter le réchauffement à moins de 2 °C, les investissements annuels
financiers devraient être de trois à six fois plus importants entre 2020 et
2030, selon les conclusions du GIEC. Aujourd’hui, les flux financiers internationaux
ne permettent pas d’atteindre les objectifs d’atténuation du réchauffement
climatique et font particulièrement défaut dans les pays en développement.
Pourtant, « il y a suffisamment de capitaux et de liquidités mondiales pour
combler ces déficits d’investissement », soulignent les chercheurs.
*
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC),
composé des plus grands climatologues du monde, est chargé de publier des mises
à jour complètes des connaissances mondiales sur la crise climatique, afin
d’éclairer l’élaboration des politiques gouvernementales. La rédaction de
chaque « rapport d’évaluation » prend de cinq à sept ans et implique des centaines
de scientifiques qui examinent le travail de milliers d’autres experts. Le
rapport actuel – publié en quatre parties, d’août 2021 à octobre 2022 – est le
sixième depuis la création de l’organisme en 1988. Les deux précédents volets,
sortis en août 2021 et février 2022, portaient respectivement sur les enjeux de
l’accélération du réchauffement climatiques et les impacts toujours plus
ravageurs, dont certains désormais irréversibles, de la crise climatique.
Par
ailleurs, ces investissements seraient amortis sur le long terme par les
bénéfices de l’atténuation du réchauffement climatique. « Le coût global de la
limitation du réchauffement à +2 °C au cours du XXIème siècle est inférieur aux
avantages économiques mondiaux de la réduction du réchauffement », précise
ainsi le rapport du GIEC. Concrètement, les investissements nécessaires
coûteraient moins cher que les dommages économiques provoqués par la crise
climatique.
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